René Lévesque (1922-) Homme politique, journaliste

Ce jeune correspondant de guerre pour l'armée américaine (1944-1945) se distingue comme journaliste au cours des années 1950, notamment par son travail à l'émission télévisée « Point de mire ». Après avoir élu député libéral en 1960, le premier ministre Jean Lesage lui confie le portefeuille des Travaux publics, ainsi que le ministère des Ressources hydrauliques, puis celui des Richesses naturelles. Il en profite pour piloter le dossier de la nationalisation des compagnies d'électricité qui est au coeur des élections de 1962. Sa vision des questions constitutionnelles, qu'il définit dans l'ouvrage « Option Québec », l'amène à quitter le Parti libéral et à fonder le Mouvement Souveraineté-Association, puis le Parti québécois (PQ), en 1968. Son expérience crédibilise le projet indépendantiste et permet au PQ de recueillir 23 % des voix lors des élections de 1970. Des défaites personnelles en 1970 et 1973 ébranlent son leadership avant que la victoire du 15 novembre 1976 ne lui permette de former le premier gouvernement du PQ. Imprégné de l'idéologie sociale-démocrate, celui-ci adopte une série de lois progressistes - zonage agricole, contrôle du financement électoral, assurance-automobile, etc. - et fait du français la langue officielle du Québec. Un an après avoir clairement rejeté le projet de souveraineté-association (mai 1980), les Québécois reportent René Lévesque et le PQ au pouvoir en avril 1981. Mais l'épisode du rapatriement de la Constitution, la crise économique ainsi que les décrets imposés aux travailleurs des secteurs public et parapublic entament la popularité gouvernement. De plus, la décision de Lévesque de donner une chance au gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney - le « beau risque » - entraîne des divisions internes qui déchirent le PQ. Il quitte la politique active en 1985. L'intérêt pour ses mémoires et les réactions à son décès, en 1987, reflètent sa place unique dans l'histoire du Québec contemporain.
Jean-Louis Roy, « René Lévesque », Le Devoir, 22 juin 1985, p. 10.
«...Le sentiment du parti correspondait tout simplement à celui de la population, qui souhaite, à tort ou à raison (là n'est pas la question), une nouvelle sorte de leader politique, incarnant mieux la vision qu'ont maintenant les Québécois d'eux-mêmes : celle d'un peuple qui s'est affirmé, qui a confiance en lui, qui n'est plus « né pour un p'tit pain », et qui ne se reconnaît plus dans ce petit homme brouillon et querelleur, dont le côté « chien battu qui ne se tient pas pour vaincu » séduit moins qu'auparavant. Évidemment, ce formidable changement de mentalité, c'est très largement à lui, René Lévesque, qu'on le doit. C'est lui qui, par une action échelonnée sur un quart de siècle, a changé l'image que les Québécois ont d'eux-mêmes. Même les réussites du French Power, à Ottawa, peuvent lui être en partie attribuées, car sans la présence au Québec d'un puissant mouvement souverainiste, sans la « menace » que cela représentait pour le Canada anglais, le gouvernement Trudeau n'aurait jamais pu y faire pénétrer le bilinguisme, et peut-être Trudeau lui-même n'aurait-il jamais été premier ministre. Qu'aujourd'hui, avec la blessure encore fraîche de la défaite référendaire et du recul constitutionnel, Lévesque ait l'air d'un perdant et Trudeau d'un gagnant, n'a que peu de rapport avec la réalité, car il était plus facile de rapatrier la constitution que de faire un pays, et il n'y a pas de honte à avoir échoué dans un projet trop ambitieux. »
Lysiane Gagnon, « Fin de règne », La Presse, 22 juin 1985, p. A7.
«...Il est facile aujourd'hui de prétendre que M. Lévesque aurait pu partir plus tôt. À Noël par exemple, pour des raisons de santé bien évidentes à l'époque. Ou au soir du référendum perdu du 20 mai 1980. Le Québec se serait effectivement mieux porté, et le Parti québécois aurait évité sans doute bien des débats houleux. Mais il en a décidé autrement, inutile d'y revenir. Son gouvernement, dans son premier mandat, a redonné un second souffle à l'effort de modernisation du Québec. (...) Un second mandat marqué par la crise économique et la rupture de l'alliance entre le PQ et les syndicats du public, a sonné la fin de la récréation. Finie, l'expansion des services publics. Finie, l'intervention tatillonne du gouvernement dans tous les domaines. Il faut savoir gré à M. Lévesque d'avoir compris la réalité nouvelle. Libéraux des années soixante et péquistes des années soixante-dix ont réussi à doter le Québec des instruments essentiels pour assurer aux francophones une chance égale aux autres Canadiens. René Lévesque a joué un rôle moteur aux deux époques. Il a apaisé bien des conflits potentiels, servi de coussin entre la population et un parti longtemps doctrinaire. Bon gars bougon, aimé de bien des adversaires, détesté souvent de ses alliés, il loge aux rangs honorables des Honoré Mercier et des Jean Lesage. »
Raymond Giroux, « René Lévesque tire sa révérence », Le Soleil, 22 juin 1985, p. B4.
«...René Lévesque does not leave public life as a failure. He leaves as a man who incarnated an honourable cause as well as any human could, one to whom his fellow citizens and, paradoxically, the country from which he wanted to separate owe a profound debt of gratitude. His historic contribution is simply stated; He channelled a movement that could not be suppressed and that was becoming explosive into a broad and democratic road, and he kept it there even after it was defeated by the democratic process. In a generation which has seen independence struggles around the world turn to frustrated violence, or blocked by cynical manipulations, this is a monumental achievement. (...) Quebecers may never have understood this complex, ambiguous, unpredictable man. But he understood them, and for a generation he moved them and expressed their emotions as no one else could do. His flaws were obvious, from wildly intemperate rhetoric to arbitrary government. But his virtues - intelligence, tolerance, realism - were equally evident, and their effects are infinitely more lasting. »
« René Lévesque leaves », The Gazette, 22 juin 1985, p. B-2.
«...René Lévesque was a top performer who could squeeze passions - hope, anger, fear, sympathy - out of even the dreariest political issue. A natural. But for all that, Lévesque bows out of politics a bitter, sad and lonely figure who has been misread, misjudged and misunderstood. He leaves having achieved great things for this country, but they were not the things we had come to expect - or fear - from him. To most English Canadians, Lévesque will remain the twitchy little separatist scarecrow they loved to hate. The fact that René Lévesque actually saved Canadian unity - by slowly choking the separatist drive in Quebec that was so rampant in 1976 - will not matter much. Nationalists in Quebec say he sold out his ideals to retain power. They seem oblivious to the fact that Lévesque was playing for time, and has won enough of it to allow modern-day Quebec to emerge, to make itself without breaking. Lévesque was a politician of genius, but a statesman of deplorable shortcomings. He was complex, ambiguous, controversial, often contradictory. He was the perfect match for a people devoid of a country. »
Benoît Aubin, « Fresh directions for the new Quebec », MacLean's, 1er juillet 1985, p. 12.
«...si M.Lévesque fut souvent l'objet de vives contestations, et pas seulement de la part de ses détracteurs, son action réformatrice, engagée il y a une vingtaine d'années dans le cabinet du libéral Jean Lesage, a contribué à transformer profondément la réalité du Québec. (...) M. René Lévesque a réussi à insuffler aux Québécois la confiance en eux dont ils ont tant manqué dans la compétition culturelle et économique qui les oppose depuis deux siècles à leurs concitoyens anglophones. Bien sûr, l'indépendance reste un rêve. Mais l'ennemi déclaré de tout dogmatisme, M. René Lévesque ne s'est jamais fait d'illusions à ce sujet. Derrière la vigueur du verbe, il préférait, sans le dire ouvertement, l'aménagement du système fédéral à la rupture avec ce dernier. Au moment où il s'efface de la vie politique, son amertume doit être tempérée par le fait que la spécificité québécoise est désormais reconnue jusque dans la capitale fédérale canadienne. »
Bertrand de la Grange, « Fin de règne au Québec », Le Monde (France), 22 juin 1985, p. 1.